A l'occasion de l'appel d'offre concernant les décors peints de l'église Saint-Nicolas de Toulouse, l'ACRMP interroge la DRAC sur ses pratiques "provinciales" où le critère "prix de la prestation" compte pour 60% dans l'évaluation de l'entreprise (il y a du mieux, car dans les trois quarts des cas, on est à 100 ou 80%). Les "gens de Paris", eux, fixent bien souvent à 35, voire 25% ce critère là !
Pour tenter de démontrer que la restauration de ces décors et en particulier, les 80 m2 peints par Bernard Bénézet, exigeait, quoi que l'on en pense, un "certain professionalisme", nous avons voulu parler de l'importance de cet artiste du 19ème toulousain. Je me suis donc lancée dans une petite synthèse et voilà que je la poste sur le forum.
BERNARD BENEZET (1835-1897)Les peintures de Saint-Nicolas
Les peintures de l’église Saint-Nicolas présentent, sur les murs latéraux de la nef, quatre registres superposés avec, de bas en haut :
- un registre de lambris,
- un registre de peinture décorative (faux-appareil),
- un registre de peinture figurative consacrée au vocable de l’église et illustrant la vie de l’évêque de Myre ,
- surmontée d’un dernier registre à nouveau décoratif de faux-appareil.
Cette peinture décorative (faux-appareil et motifs ornementaux) est l’œuvre du peintre-décorateur BORIOS qui réalise également la voûte étoilée sur fond bleu-ciel de l’édifice.
Les six grandes scènes de la vie de Saint-Nicolas sont, pour cinq d’entre elles, l’œuvre du peintre et directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse, Bernard Bénézet, réalisée entre 1891-1894.
(La sixième composition, exécutée après la mort du peintre, est attribuée à deux de ses élèves.)
Ces peintures peuvent être considérées comme l’une des œuvres religieuses majeure du 19ème siècle toulousain. Avec un refus de la perspective, une lecture en frise, un goût pour la ligne et les canons ingresques : ce mélange d’archaïsme et de modernité est un condensé de la problématique de la peinture sacrée en France à cette époque du « gothic revival ». La priorité de l’image est donnée au message religieux tout en restant attaché à la valeur décorative de l’ensemble.
Bernard Bénézet, peintre toulousain et régional
Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse puis disciple d’Hippolyte Flandrin à Paris, Bernard Bénézet, artiste confirmé , a joué un rôle important sur la plan local au 19ème siècle « …profitant du renouveau de la peinture murale qui a cours dans la deuxième moitié du 19ème siècle, [il] obtient le quasi-monopole des multiples chantiers religieux et profanes qui s’ouvrent dans le midi et notamment à Toulouse: jamais aucun peintre, dans l’histoire de cette ville, n’a eu la possibilité – exceptionnelle en ce temps où les autorités ont tendance, dans un souci de justice, à répartir les commandes entre les différents artistes - de marquer à tel point un même espace de son imaginaire personnel. »
Une partie des peintures murales a disparu, d’autres ne nous sont parvenues que dans un état lacunaire mais il subsiste de grands ensembles qui étaient jusqu’ici plus ou moins ignorés. Le travail de Christian Mange montre que l’on a oublié de regarder certains de ses grands décors importants et originaux.
Les chantiers religieux toulousains :
- Notre-Dame du Taur,
- Saint-Sernin,
- Cathédrale Saint-Etienne,
- Notre-Dame de la Daurade,
- Chapelle Mortuaire du Caousou,
- Eglise Saint-Nicolas.
- De nombreuses toiles conservées dans d’autres églises toulousaines (ex. Eglise Saint-Aubin)
- Cartons des vitraux réalisés par Gesta à l’église du Jésus.
Les œuvres profanes toulousaines :
- Galerie des Illustres du Château Les Verrières de L.V. Gesta avec quatre composition glorifiant le passé légendaire de Toulouse (Clémence Isaure, Les Capitouls, Raymond de Saint-Gilles, Duranti) et huit scènes historiques au plafond. Décor en partie recouvert ou disparu aujourd’hui.
- Théâtre du Capitole, à la manière de Tiépolo, il peint l’Apothéose de Clémence Isaure et de la Belle Paule en 1880
- Théâtre des Variétés, en 1882, avec des thèmes allégoriques. Ces deux plafonds furent détruits par des incendies.
Les chantiers hors de Toulouse :
- Villemur-sur-tarn,
- Montégut,
- Castanet-Tolosan,
- Pamiers,
- Notre-Dame de la Drèche, près d’Albi,
- Saint-Paul-Cap-de-Joux,
- Blagnac,
- Montpezat-du Quercy…
Pour expliquer ce monopole ou succès de Bénézet, il faut le comprendre comme un artiste religieux exemplaire : sa peinture est narrative, didactique, conforme aux écrits scriptuaires. Elle répond parfaitement à la définition de l’art sacré et aux souhaits de ses commanditaires.
Mais, au-delà de cette iconographie traditionnelle, sa peinture a aussi voulu rendre compte des préoccupations sociales et culturelles de l’église avec d’un côté :
- des images retraçant l’histoire de l’église toulousaine (Notre-dame du Taur : Martyre et Apothéose de Saint-Saturnin. Il s’agit là de glorifier le fondateur et chef de l’église toulousaine et de célébrer l’histoire de celle-ci en représentant tous les saints et martyrs importants du midi). Ces sujets témoignent d’une sensibilité romaine et d’un intérêt pour les dévotions favorisées par le Vatican .
- D’autre part sa participation au catholicisme social en illustrant par exemple à plusieurs reprises le culte de Sainte-Germaine de Pibrac (Cathédrale Saint-Etienne, Basilique Saint-Sernin, Collégiale Saint-Martin à Montpezat du Quercy), symbole de la paysannerie victime de l’exode rural.
Ainsi Bernard Bénézet, lettré savant , militant religieux, politique et patriote languedocien (il met en image toute la spécificité historique, politique, religieuse et culturelle du midi : comtes de Toulouse, croisades, parlement, capitouls, Académie des jeux floraux avec Clémence Isaure), apparaît comme le peintre religieux dominant de son temps et de sa région.
Mais c’est aussi ce point de vue catholique et conservateur qui lui vaudra d’être écarté du programme décoratif républicain de la salle des Illustres du Capitole et de plonger petit à petit dans l’oubli probablement accéléré par la loi de séparation de l’église et de l’état.
Bibliographie
Cette note de synthèse a été réalisée à partir des références suivantes :
- « Les peintures religieuses de Bernard Bénézet à Toulouse » de Christian Mange in Toulouse et le Midi toulousain entre TERRE et CIEL du moyen-âge à nos jours, Actes du 47ème congrès de Toulouse, le 11,12, et 13 juin 1993 – Fédération des Sociétés académiques et savantes Languedoc, Pyrénées, Gascogne – Ed. Association « Les amis des archives de la Haute-Garonne » - 1993 – p.375 à 386
- Notice de la Bibliothèque de l’Université Toulouse-Le Mirail sur : Thèse de Doctorat : Bernard Bénézet (1835-1897), vie et œuvre, Christian Mange, sous la direction de M. Yves Bruand, décembre 1991, Université de Toulouse-Le Mirail. Consultation électronique http://w3.bu-centrale.univ-tlse2.fr/catalogue.html
- Bulletin de l’Année Académique 1991-1992, Séance du 24 mars 1992, T. LII, p. 156, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LII, 1992. Etabli par Daniel Cazes et Maurice Scellès. Edition éléctronique www.societes-savantes-toulouse.asso.fr/samf/memoires/T_52/bull922.htm
- Un château dans Toulouse : « Les Verrières », Enjalbert Lise, Extrait des mémoires de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. Volume 151, 16ème série, Tome X, 1989.
- Les châteaux de Toulouse, C. Maillebiau, éd. Loubatières, 2000. p.415
L’appel d’offre
Acheteur : la DRAC MP
Objet du marché : Restauration de la travée n°3 et de la chapelle n°5 – Eglise Saint-Nicolas
Maître d’œuvre : Bernard Voinchet, ACMH
Lot 1 – Maçonnerie : échafaudages, fourniture et pose protections, piochement enduits et enduits (180 m2)
Lot 2 – peinture murale : Epoussetage et Nettoyage du décor, consolidation et restauration de la couche picturale, fixation et restitution des décors dans les zones lacunaires (200m2).
Chapelle n°5 : Chapelle Notre Dame de Lourdes : En deux travées de taille différentes. Dans la première : décor 19ème de type ornemental. Dans la seconde : restauration « récente » avec enduit et badigeon uniforme beige. Sur l’autel : groupe statuaire original du portail.
Critères d’attribution :
Lot 1 : prix des prestations 70%
Lot 2 : prix des prestations 60%
Variante possible
Travaux précédents réalisés en 2003-2004
Peintures murales : restauration travée de l’orgue et 2ème travée de la nef (je ne sais pas encore par qui)
Maçonnerie
Charpente/couverture
Vitraux
Menuiserie