Lu sur le site des Associations du Patrimoine et des paysages (FNASSEM)
Politique publique - 13/10/2009
Budget Culture 2010 en forte hausse : 400 M€ en faveur des Monuments Historiques - Interview de Jean de Lambertye, président de la Demeure Historique
Frédéric Mitterand a présenté jeudi 1er octobre le budget 2010 pour le ministère de la culture. Ce budget est en forte hausse par rapport à 2009 (de près de 5,3%). Tous les secteurs sont concernés mais plus particulièrement celui du patrimoine avec 119 M€ supplémentaires (+10,5%) par rapport au projet de loi de finances 2009. L’accent est mis sur l’entretien et la restauration du patrimoine historique.
M. de Lambertye, que pensez-vous de ce budget, et notamment des crédits déconcentrés qui s’élèveront à 250 M€ ? Selon vous, quel sera l’effet de ce budget sur les monuments des collectivités locales et des privés ?
A l’annonce des chiffres lors de la présentation de presse du budget 2010 à laquelle j’ai assisté, ma première réaction a été bien évidemment extrêmement positive, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord parce que le montant des crédits budgétaires annoncés en faveur des monuments historiques s’approche très significativement des 400 M€. C’est un chiffre « fétiche » conforme aux engagements du candidat Sarkozy. Mais c’est aussi un montant qui - et tous les responsables du patrimoine sur le terrain, qu’ils soient publics ou privés, s’accordent à le dire - permet de travailler efficacement dans la durée dès lors qu’il n’est pas soumis à des soubresauts. Le 1er élément positif de ce budget est donc l’enveloppe globale.
Le 2ème élément très positif à mes yeux, c’est le fait que, cette fois-ci, il n’y ait pas de contorsion extrabudgétaire. Ces 400 M€ ou presque font parti des investissements stratégiques que la France veut faire et sont considérés comme un élément structurant de son budget. C’est pour moi un message politique fort.
Le 3ème élément, qui évidemment nous réjouit tous, c’est que le « parisianisme » qui était ces dernières années un élément récurrent de la politique du patrimoine - la priorité était donnée à des grands projets franciliens qui de facto « siphonnaient » les crédits au détriment des régions - et bien ce mouvement semble stoppé. Et effectivement, vous l’avez souligné, 65% des crédits seront déconcentrés au niveau des DRAC, soit environ 250 M€, ce qui est considérable.
Enfin, 4ème élément positif de ce budget, c’est le fait que plus de la moitié de ces crédits déconcentrés seront destinés aux monuments n’appartenant pas à l’Etat. Cela est assez significatif et prouve une réelle prise en compte des besoins considérables de ces monuments. Rappelons, même si ces chiffres n’ont pas beaucoup de sens dans l’absolu, que sur les 40.000 monuments protégés, 20.000 sont privés et 18.000 appartiennent aux communes.
Depuis plusieurs années, la Demeure Historique demande à ce que l’on retrouve la part de 10% de crédits de paiement affectés aux monuments privés. Nous publions tous les deux ans un rapport sur les cofinancements publics apportés aux monuments historiques privés, c’est-à-dire par l’Etat, les Régions et les Départements. Ce rapport nous a permis de constater que depuis 2000, l’Etat n’a cessé de se désengager des monuments historiques privés. Cette part est tombée à 7/8% (notamment les deux ou trois dernières années). Aujourd’hui, grâce à ce budget, il y a des moyens pour retrouver cette part globale de 10% affectée aux monuments privés, et bien évidemment cofinancer les monuments des communes puisque eux aussi ont de grands besoins. Sur ce point, tout le monde a en tête la situation terrible des lieux de culte que les petites communes n’arrivent pas à entretenir.
Mais je voudrais apporter un « bémol » à mes propos.
Nous avons constaté, dans le cadre de l’actualisation de l’étude biennale de la Demeure Historique que j’évoquais à l’instant, un désengagement massif des collectivités sur les monuments privés. Aujourd’hui, sous la pression budgétaire (manque à gagner en terme de ressources sur les droits de mutation, etc.), les Conseils Généraux mais aussi les Régions lorsqu’elles ont à intervenir, sont amenés à ce désengagement. Ce qui est tout à fait préjudiciable.
Par ailleurs, l’efficacité du programme « Patrimoines » dans le cadre de la LOLF (nouveau dispositif d’exécution des lois de finances) est mesurée notamment au nombre d’opérations engagées par l’Etat. Cet indicateur est pervers et incite à un certain « saupoudrage ».
Ce risque de « saupoudrage » conjugué au désengagement des collectivités fait qu’il y a aujourd’hui un risque avéré d’autocensure des porteurs de projet sur les monuments privés.
Ceci a amené la Demeure Historique à demander par écrit, au ministre et au directeur de l’architecture et du patrimoine, de réviser à la hausse les taux d’intervention moyens de l’Etat, dans le cadre de cette nouvelle enveloppe de crédits, sans quoi il n’y aura plus du tout d’opérations lancées. C’est-à-dire, pour être plus clair, de revenir à des taux sur les monuments classés qui soient de 40 ou 50% (ils sont tombés souvent plus bas), voire aller ponctuellement au delà de 50% puisque la loi le permet, pour relancer tel ou tel projet. Et sur les monuments inscrits, revenir à des taux de 25 ou 30% et même 40%, là aussi pour que des projets soient relancés. Ça ne sert à rien d’avoir une bonne enveloppe de crédits, s’il n’y a pas les projets pour les utiliser sur le terrain.
Nous devons donc nous assurer que la capacité de financement de ce que l’Etat ne prendra pas en charge, existe bien. Et aujourd’hui ce n’est pas du tout la situation que nous anticipons. Il y a un vrai risque, un peu absurde, de non consommation de crédits, faute de capacité des porteurs de projets à assurer le financement complémentaire.
Je terminerai par le dernier point que vous avez évoqué qui est celui des crédits d’entretien. Evidemment tout le monde se réjouit du fait que 15% des crédits Monuments Historiques soient affectés à l’entretien. Mais nous savons tous que les limites entre l’entretien et la restauration restent ambiguës. Et que chaque année, les ministres successifs annoncent que l’effort sera mis sur l’entretien. C’est de mon point de vue important mais secondaire dans l’analyse de ce budget. Les points que j’ai évoqués précédemment me semblent bien plus marquants.
Propos recueillis par Cécile Le Goc