Christine Albanel propose de taxer les hôtels de luxe au profit du patrimoine
LE MONDE | 22.01.08 | 15h30 • Mis à jour le 22.01.08 | 15h30
Les hôtels de luxe au secours du patrimoine ? C'est l'une des "pistes" de la ministre de la culture, Christine Albanel, pour améliorer l'entretien des cathédrales, châteaux et autres monuments historiques. Mme Albanel réfléchit à la création d'un prélèvement de 2 euros sur chaque nuitée - donc payable par le client - dans les hôtels quatre étoiles et plus, lequel pourrait rapporter 50 millions d'euros. "Deux petits euros, c'est la moitié du prix d'un soda au minibar pour des hôtels dont le prix de la nuit est de 180 à 220 euros", a déclaré la ministre lors de ses voeux à la presse. Le même jour, dans Le Figaro, elle justifiait ce projet de taxe au motif que "les moyens budgétaires actuels ne permettent pas de transmettre dans un bon état de conservation notre patrimoine aux générations futures".
Une enveloppe de 303 millions d'euros est prévue pour l'entretien du patrimoine, en 2008, loin des 400 millions d'euros réclamés par les professionnels et des parlementaires de tous bords. Nicolas Sarkozy ne dit pas autre chose : lors de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, en septembre 2007, le président de la République avait chiffré les besoins des monuments historiques à "4 milliards d'euros sur dix ans". Par ailleurs, nombre de touristes viennent en France pour découvrir le patrimoine. Pourquoi ne pas les mettre à contribution ?
UN JEU SPÉCIFIQUE
Tel n'est pas l'avis du Parti socialiste. "En avançant des idées aussi exotiques les unes que les autres,(Mme Albanel) affiche clairement la volonté du gouvernement de vouloir faire porter le coût de ses renoncements sur les consommateurs et de s'en remettre aux initiatives privées", dénonce le député Patrick Bloche, chargé de la culture et des médias.
D'autres idées vont être explorées par le ministère, comme une taxe sur les casinos ou un jeu spécifique de la Française des jeux, même si cette dernière piste "ne rapporte pas énormément", selon Mme Albanel. L'ensemble de ces contributions serait versé dans un "fonds dont les revenus pourraient permettre de mener une grande politique du patrimoine",a ajouté la ministre, qui souhaite qu'un débat s'engage entre les différents acteurs, sans préciser sous quelle forme (projet de loi ?) ce fonds pourrait voir le jour.
Ce n'est pas gagné. "On a découvert la taxe sur les nuits d'hôtel ce matin",s'agace un conseiller de la ministre des finances, Christine Lagarde. "Cette proposition n'a pas donné lieu à une concertation intergouvernementale. Et ce n'est pas du tout l'optique de Bercy",prévient-il. En outre, "Mme Lagarde et le secrétaire d'Etat à la consommation et au tourisme, Luc Chatel, ont un plan pour faire monter en gamme l'offre de l'hôtellerie française. Annoncer au même moment une taxe nous semble contre-productif..." Enfin, dit-il, "qui va aller vérifier que les hôtels jouent le jeu ?" Sollicités par Le Monde, ni le groupe Accor, ni le Plaza Athénée et le George-V, à Paris, n'ont souhaité réagir.
EFFET LEVIER
La taxe sur les hôtels est le fruit d'un lobbying mené par le président du Groupement français des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), Christophe Eschlimann. Au début, on lui riait presque au nez. "J'essaie de vendre cette idée depuis six mois, Rue de Valois, à Bercy, à Matignon et bientôt à l'Elysée. Je suis content que la ministre de la culture la reprenne, mais un petit coup fil pour me prévenir aurait été élégant", dit-il. Sa proposition diffère un peu de celle de Mme Albanel.
M. Eschlimann souhaite que tous les hôtels soient mis à contribution, pour un montant plus faible et avec un effet levier plus important : "En France, les nuitées d'hôtel sont au nombre de 1 323 millions par an. Si l'on retenait 0,13 euro par nuitée, cela engendrerait au total 170 millions d'euros", explique-t-il. "On ne pourra pas faire l'économie d'un effort de masse", ajoute-t-il, citant le cas des Anglais, qui "prélèvent une partie de la loterie pour la restauration de leurs monuments".
Ultime argument : il n'est pas rare, dit-il, que les chambres d'hôtel avec vue sur la cathédrale soient plus chères que celles qui donnent sur un mur. CQFD...