J’ai eu l’occasion d’assister les 23 et 24 juin 2008, à une formation organisée par l’Institut national du patrimoine intitulée : Refixage et consolidation des peintures non vernies,
Deux intervenantes ont animé cette formation à laquelle ont assisté une quinzaine de stagiaires :
- Mme Mady Elias, chercheur au CNRS, responsable du groupe optique et art à l’INSP.
- Mme Claudia Sindaco, restauratrice de peintures.
La première matinée a été consacrée à une intervention de Mme Elias sur les propriétés optiques des couches picturales. Son excellent Power point est un rappel et un approfondissement concernant les phénomènes optiques rencontrés en peintures. Il permet de donner à chacun un vocabulaire commun et les nombreuses discutions intervenues au cours de la présentation montre à quel point ceci est nécessaire.
Sont ainsi évoqués les phénomènes de réflexion, de réfraction, d’absorption, de diffusion simple et multiple, de concentration pigmentaire volumique et concentration pigmentaire volumique critique (nouvelle discussion animée), de brillance et de matité.
L’accent est mis sur le rapport des indices de réfaction du liant et du pigment et l’influence de celui-ci sur la diffusion de la couche colorée.
Le vieillissement du liant intervient également dans la perception de la couche colorée, avec la modification de son indice de réfraction et l’augmentation de sa « transparence ». L’introduction d’un fixatif (transparent, absorbant et non diffusant) au sein de la couche pigmentée modifiera à son tour sa perception visuelle.
Les caractéristiques géométriques du film de peinture vieilli sont évoquées. Le changement d’état de surface modifiera la brillance et le contraste et la modification du volume fera évoluer la transparence, la clarté et la saturation. Concepts difficiles à appréhender et à quantifier à l’œil nu.
Des notions de colorimétrie et d’espace colorimétrique L, a, b (représentation spatiale des couleurs et de leur clarté) nous sont données.
Après une pause, Mme Elias nous parle de l’appréciation visuelle en décrivant le trajet d’une information optique transportée et transformée par les différents éléments constitutifs de l’œil. Le rôle spécifique de la cornée, de la rétine, des différentes cellules rétiniennes et le travail interprétatif du cerveau sont précisés au moyen d’exemples.
Le constat est accablant, nous sommes incapables d’analyser une information visuelle géométrique ou colorée sans l’interpréter, donc autant d’individus que d’interprétation. Et pour couronner le tout, nous ne possédons peu ou pas de mémoire fiable de l’information colorée.
Mme Elias nous présente le gonio-spectro-photo-colorimètre de l’INSP. Cet instrument permet l’identification des pigments par comparaison du spectre-photo-colorimètrique d’un échantillon avec celui d’un autre échantillon ou avec ceux d’une base de donnée. Cette identification se base sur la couleur et non sur la composition chimique du pigment.
Outre son intérêt pour l’étude des pigments, cet appareil permet de « matérialiser » physiquement les modifications optiques apportées au cours du refixage d’une peinture mate (modification des spectres d’émission) et de sélectionner le fixatif le plus approprié à chaque cas.
L’après midi est consacré à la première séance de travaux pratique dirigée par Mme Sindaco dans les atelier de l’INP.
En binôme, nous devons déterminer la stratigraphie et si possible la technique picturale d’échantillons de peinture. Evidemment le test et truffé de petits piéges, avec une variabilité importante des support, préparations, superpositions et natures chimiques des couches parfois écaillées.
Outre l’aspect ludique, l’exercice pointe la difficulté d’identification des techniques picturales classiques pour peu qu’elles différent ou ne correspondent pas à ce que nous en attendons.
Ainsi, une détrempe peut être satinée, une huile varier de la brillance à une matité « parfaite » et les liants synthétiques se situer entre ces extrêmes et parfois les approcher. Notre perception visuelle peu facilement nous tromper et nous donner à voir une détrempe « mate » à la place d’une acrylique pour peu que celle-ci jouxte une encre de chine très brillante.
Ceci met en lumière l’embarras des restaurateurs qui interviennent sur des œuvres d’art contemporaines où le mélange des techniques picturales est courant. Le recours à l’analyse chimique du liant s’avère parfois une étape obligée.
Parallèlement nous réalisons des témoins de solvants sur les échantillons. Après évaporation, ces témoins sont examinés avec le gonio-spectro-photo-colorimètre et comparés avec un témoin de référence. Une modification du spectre révèle une interaction entre le solvant et le liant de la couche picturale (lissage, rétraction, micro-fissuration de la surface etc….), autant de paramètres qui influent sur la densité de la teinte et sont donc décelables par l’appareil.
Nous réalisons également des zones témoins de refixage qui seront observées le lendemain.
Les produits employés couvrent la gamme courante des fixatifs : les résines synthétiques (paraloïd B 72, Plexisol, Primal E 330 S etc…), les différents éthers de cellulose, les adhésif protéiques (colle de peau, gélatine GT 58, colle d’esturgeon) et les colles d’algues (Funori, Jun-funori).
La seconde matinée est consacrée à un exposé de Mme Sindaco qui retrace en premier lieu, l’historique et l’évolution technique des peintures non vernies. La seconde partie de son propos intitulé « Les interventions de refixage et de consolidation » est plus directement dédiée aux protocoles d’intervention et à des traitements illustrés d’exemples.
Sont ainsi évoqués les risques inhérents au refixage : modifications de l’état de surface, du contraste, de l’opacité, de la saturation et de la matité originelle.
Les principaux paramètres techniques pouvant influer sur le résultat des interventions (voir ci-dessus), sont passés en revue : propriétés du solvant et ses interactions avec l’adhésif et le milieu à refixer (vitesse d’évaporation, lixiviation etc….), l’influence de l’adhésif (indice de réfraction, contrainte mécaniques internes, hygroscopicité, etc…), importance de la mise en œuvre.
Les outils spécifiquement développés pour ce type d’intervention sont répertoriés : nébuliseur à ultrasons, micro doseur, aérographe, table basse pression etc…L’intervention se termine par la présentation des différents types d’adhésifs utilisés actuellement pour le refixage des surfaces non vernies.
Tout au long de son intervention, Mme Sindaco relie de manière très précise et critique ses propos à l’importante bibliographie et documentation technique qu’elle nous a fournies.
L’après midi, les témoins de refixage sont examinés avec le gonio-spectro-photo-colorimètre.
Les spectres obtenus permettent de déterminer pour chaque couche picturale le meilleur fixatif. Ici, seul l’aspect optique est ici pris en compte. Les qualités physiques du refixage (cohésion et adhésivité) ne sont pas caractérisées car elles nécessitent d’autres tests.
Le spectre ci-dessus montre les modifications apportées par les différents fixatifs sur une couche picturale rouge à la détrempe.
Dans ce cas, les meilleurs résultats sont obtenus avec le paraloïd B72 et le plexisol. Les autres fixatifs en solution aqueuse ou alcoolique ont interféré sur le liant ou sur la surface picturale.
Mme Elias explique les résultats obtenus sur certains témoins et nous montre des exemples d’identification de pigments présents sur ces derniers, en comparaison avec sa propre base de donnée.
Mme Sindaco nous fait une démonstration des appareils qu’elle emploie pour les refixage de peintures non vernies (nébuliseur à ultrasons, micro doseur, aérographe).
Conclusion
Ce stage est particulièrement intéressant pour son contenu, pour la réactivité et la qualité de dialogue et de partage des deux intervenantes. Elles parviennent en un laps de temps réduit à cerner la problématique propre au refixage et à la consolidation des surfaces non vernies sans la dramatiser, en replaçant la prudence au centre de notre pratique quotidienne.