Cette semaine, j’ai rencontré un cas encore jamais vu depuis que j’exerce. Un couple, visiblement amateur de peinture, prend rendez-vous à l’atelier afin que je réalise l’examen d’un tableau qui leur est cher. Jusque là, rien que de très banal.
Il s’agit d’une œuvre moderne, plutôt agréable, qui malheureusement est maculée de taches sombres allant d’une couleur ambrée à un marron soutenu. Je m’interroge, regarde à la loupe et trouve sur la surface de petites particules, qui au premier examen, m’ont semblé être des restes de papier de soie. Mais pourquoi des restes de papier sur une œuvre qui ne montre aucune trace de fixage (pas de passage d’un adhésif au revers) et qui, d’après son propriétaire n’a jamais été restaurée ?
Autre altération intrigante, la signature, ou plutôt l’absence presque complète de signature. Cette partie de l’œuvre me semble avoir subi un traitement de choc ayant entraîné sa perte irrémédiable.
Face à mes interrogations, et visiblement convaincu par mes déductions, l’homme finit par m’avouer, du bout des lèvres, qu’il y a 40 ans, il a procédé dans cette zone du tableau à un petit test de nettoyage au moyen d’un oignon !!!!
Je garde mon calme, après tout c’est son tableau, pas le mien, et promets de faire parvenir dans les meilleurs délais le devis de restauration demandé.
Puis cette histoire d’oignon me trotte dans la tête. Mais pourquoi ne faire qu’un petit test sur la signature ? Quid des résidus de papier ? Mon collègue me mets alors la puce à l’oreille. Les taches brunes présentes sur la surface sont majoritairement concentrées sur les parties claires de l’œuvre. Alors, s’il ne s’agissait pas d’un simple et malheureux petit test, mais plus logiquement de ce que l’on nomme par pudeur, le fameux nettoyage sélectif et préférentiel. Celui qui consiste à « récurer » les parties claires et à laisser presque dans leur jus de crasses les parties sombres.
Me voilà donc lancée dans la recherche de la composition chimique de l’oignon afin de savoir ce qu’il faudrait pouvoir mettre en évidence pour s’assurer que les dépôts de surface ne sont autres que du jus d’oignon oxydé accompagné de quelques particules de peau (et non de papier de soie).
Vive le net et ses requêtes rapides (bon il faut quand même savoir trier). Après avoir passé, les forums féminins vantant les vertus antioxydantes de l’oignon, les pages de la médecine parallèle l’invoquant contre presque tout (même le cancer !!!), je trouve enfin, sur un site de chimie quelque chose de plus probant. Une fois retirée l’eau qui est quand même le composant majoritaire de ce bulbe, ce qu’il nous reste est essentiellement des sucres (j’aurais dû y penser – vive les chutneys !). Donc, il me faut mettre en évidence des glucides.
Evidemment, pour assouvir ma curiosité, je n’allais pas avoir recours à un laboratoire spécialisé ni même investir dans le réactif approprié (je n’en suis qu’au stade du devis – qui comme chacun sait est très faiblement rémunérateur !). C’est alors que mon collègue rentre de nouveau dans la danse et me propose de tenter une expérience avec un appareil d’automesure de glycémie. Bonne idée et ce d’autant qu’il peut se procurer rapidement (et gratuitement) ce type d’appareil.
J’ai donc effectué un petit prélèvement de dépôts de surface. Je l’ai inséré dans un tube à essai (propre !) et ai ajouté trois gouttes d’eau distillée. L’eau a vite pris une couleur blonde, mais trois petits dépôts restaient au fond de mon tube. J’ai d’abord pensé à une dissolution difficile à froid et ai donc mis mon tube au bain-marie. C’était mieux, mais mes dépôts étaient toujours là.
J’ai ensuite prélevé une goutte de ma solution et l’ai installé sur l’appareil.
Evidemment, j’avais pris soin au préalable de le tester avec une goutte d’eau distillée seule et ainsi m’assurer qu’il ne m’indiquait pas par erreur la présence de sucre.
Et là, bingo, mon « patient » est bien diabétique avec une « glycémie » de 209 mg /dl.
Pas de doute donc, le petit test localisé était bien en fait une tentative malheureuse de nettoyage avec un remède de bonne femme digne des informations les plus farfelues que j’ai pu moi-même trouver au sujet de l’oignon sur le net.
Quand aux dépôts restés au fond du tube, une fois installés sur une lame et examinés sous binoculaire, il me semble bien qu’il s’agisse de petits restes de peaux d’oignon !!!
P.S. Si un chimiste lisait ce billet, et qu’il trouvait mon protocole peu orthodoxe, qu’il veuille bien me pardonner. Je lui serais même reconnaissante de bien vouloir réagir et m’indiquer, ce que de son côté, il aurait entrepris hors de son laboratoire.