Le chantier du musée d'art moderne de St Etienne prévoyait l'étude, la préparation et la mise sur rouleaux d'environ 90 toiles d'artistes du groupe Support Surface, dont plusieurs œuvres de Claude Viallat, André Valensi et Noël Dola. Ce fut pour l'équipe de restaurateurs chargée de l'intervention, l'occasion de réfléchir aux principes d'enroulement des peintures sur des cylindres en carton. Les restaurateurs ont ainsi croisé leurs expériences pour essayer d'appréhender le plus grand nombre de techniques couramment employées; comparer leurs qualités et leurs défauts afin de réfléchir à une alternative plus efficace et moins contraignante pour la peinture.
La technique la plus simple de mise sur rouleau, consiste à rouler la peinture en s'appuyant directement sur la surface de travail. Dans ce type d'intervention les principaux risques sont l'écrasement et les altérations structurelles de la peinture, même si le plan de travail et la couche picturale sont protégés. Si le roulage se fait directement sur la surface de travail, il faut gérer à la fois l'enroulement du rouleau et veiller à son maintien parallèle à la direction d'enroulement. C'est souvent assez délicat et même parfois critique, car fréquemment un point de pivotement du tube s'installe sur des zones d'empâtements ou des irrégularités du sol, faisant perdre l'axe initial d'enroulement. Cette situation est aggravée par la différence de vitesse d'enroulement donnée au rouleau par les personnes placées aux extrémités et chargées de le faire tourner. Il s'en suit des rattrapages de l'angle de rotation en bloquant momentanément l'un des côtés du rouleau ou par une reprise de la tension qu'il est très délicat à estimer tout en soulevant et reculant le rouleau. Ces manœuvres peuvent entraîner des plis et déformations de la toile dès le tour suivant. L'enroulement simultané d'un papier d'interface ou d'une couche d'amortissement est aussi très délicat du fait du travail à l'aveugle (couche picturale vers le sol), ajouter à cela l’obligation de gérer le bon positionnement des couches de protection pour éviter leur chevauchement. Le seul "avantage" à ce type de mise en œuvre est la possibilité d'enrouler des peintures lourdes ou de très grandes dimensions sans danger de fléchissement du rouleau et d'apparition de godets. Mais le risque d'écrasement de la matière picturale le long de la génératrice d'enroulement augmente au fur et à mesure du roulage.
Pour y remédier, il suffit de rehausser légèrement le tube à ses extrémités en installant deux liteaux qui serviront de "rails". Il faut évidemment que la largeur de la peinture roulée soit inférieure à celle du tube pour permette l'appui sur les extrémités du tube. La hauteur des tasseaux devra être la plus faible possible tout en tenant compte de l'augmentation du diamètre du tube à mesure de l'enroulement. Cette solution est de loin la plus simple à mettre en place lors d'un chantier. En revanche les problèmes liés à la différence d’enroulement (vitesse d'enroulement, glissement etc.) aux deux extrémités restent les mêmes. Mécaniquement, l'appui sur deux points en bout du tube et le poids peuvent sur des grands formats de peinture, générer des déformations géométriques qui auront des répercussions sur l'enroulement de la toile.
Enroulement sur des rehausses (cliché: C Lebret)
L'installation de flasques de roulement sur le rouleau pose un nouveau problème généré par la différence de diamètre entre le tube et les flasques. Lorsqu'un tel tube est mis en rotation, la vitesse angulaire du tube et de ses flasques est la même, mais leurs développés sont différents. Cette différence de déplacement provoque une traction et un resserrage de la peinture sur son rouleau lors du déroulement de l'œuvre et à l'inverse une perte de tension à l'enroulement.
Si la traction constatée au déroulement est compensée par le glissement de la peinture sur le sol durant les premiers tours, ceci n'est plus vrai par la suite, dès que le poids de la toile déjà au sol, et la surface de frottement deviennent suffisamment importants pour s'opposer au glissement. Cette surtension est à prendre en compte mais reste acceptable et sans risque de dommage pour la plus grande majorité de œuvres, car comparable à celle exercée à la mise sur châssis.
Lors de l'enroulement d'une peinture, c'est le phénomène inverse qui s'installe. Le développé des flasques étant supérieur à celui du tube, un godet puis un pli de faible rayon se forment à l'arrière du rouleau avec des risques importants de déstabilisation structurelle de l'œuvre. Pour compenser ces déformations il est obligatoire de soulever le rouleau pour le reculer, perdant ainsi le parallélisme de l’axe de roulement et l'homogénéité de la tension. Le phénomène réapparait dès la reprise de l'enroulement.
Il est possible d'éviter cet écueil en fixant la peinture sur le haut du cylindre (couche picturale tournée vers le haut et non vers le sol), sans la glisser sous le tube. Mais dans ce cas la surface de débattement disponible au sol pour l'opération doit être doit être supérieure à celle de la peinture. Mais ici encore les problèmes liés à la différence de rotation (force ou vitesse d'enroulement et différence de glissement au sol) peuvent compliquer les opérations.
Si le système d'enroulement avec des flasques est choisi, il est donc primordial de réduire le plus possible la différence de diamètre entre les flasques et le tube en tenant compte de l'augmentation du diamètre de ce dernier à mesure le l'enroulement.
L'emploi de flasques extérieures présente l'avantage de pouvoir stocker les œuvres directement au sol en l'absence de rack de rangement.
Le chantier du Musée d'art Moderne de St Étienne faisait suite à une étude préalable qui devait définir les besoins et moyens techniques nécessaires pour la mise sur rouleau des peintures.
Le choix des rouleaux s'est arrêté sur des tubes de coffrage en carton de différents diamètres, munis de flasques intermédiaires en OSB réparties tous les mètres cinquante et de flasques encastrées aux extrémités. Les flasques sont solidarisées au tube avec des vis en inox, avant la pose d'un film de complexe polyester/aluminium. Un tube rond en acier d'un diamètre de 30mm traverse le tube de carton et les flasques en leur centre. Il ressort du tube pour servir de poignée et de support d'enroulement. Il est rendu solidaire des flasques des extrémités par deux goupilles et doté à l'une d'un côté d’un tube carré permettant l'indexation du tube pour le tourner régulièrement et minimiser les effets de sa déformation à longs termes. Un message précédent du forum (peintures et papiers roulées, 3 mai 2011) à la rubrique conservation préventive traite plus spécifiquement des risques de déformations des tubes.
Nous avons alors essayé de définir un système d'enroulement capable de répondre à plusieurs critères définis à partir des différents cas énoncés précédemment:
- stabiliser la position de l'axe d'enroulement.
- homogénéiser la vitesse de rotation du tube.
- permettre le roulage ou le déroulage sans perte de place au sol.
- être utilisable sur différents diamètres de tube.
- être facilement transportable et à fabriquer par les services techniques des musées.
Le premier critère ne peut être atteint qu'en "arrêtant" l'emplacement de l'axe de rotation. C'est alors la peinture qui viendra s'enrouler sur le tube et non l'inverse. L'homogénéisation de la vitesse d'enroulement du tube découle dé facto du premier critère. Il en est de même pour le critère suivant. Une fois l'enroulement de la peinture amorcé sur le tube (fixation possible des bords de tensions avec des agrafes), aucun changement de position n'est possible entre eux.
Pour répondre au critère suivant, le système d'enroulement comporte une succession d'encoches qui permettent de rehausser ou de baisser l'axe de rotation de 10 en10 cm pour des tubes de 30 à 60 cm de diamètre. La mise sur rouleau peut ainsi se faire le plus près possible du sol.
Enfin, le dernier critère impose de fabriquer ce dispositif dans une matière facile à se procurer et à travailler. C'est le bois qui est ici choisi, l'outillage nécessaire à sa fabrication est tout à fait basique (scie, perceuse et râpe à bois). La forme en "L" garantie une bonne stabilité au sol. Son repliement offre un faible encombrement de rangement.
Cylindre de stockage avec son axe, monté sur un enrouleur.
Enrouleur en position ouverte et repliée
Vue générale du chantier dans les réserves.
L'utilisation de cet "enrouleur éventail" s'est révélée parfaitement adaptée durant le chantier de St Étienne et en plusieurs autres occasions depuis. Ce n'est pas pour autant la solution idéale et plusieurs reproches peuvent lui être faits. En premier, celui, en certaines occasions, de faire glisser la couche picturale sur la surface de travail avec tous les risques liés aux frottements. C'est le cas par exemple, lors du retournement de la peinture (inversion du côté visible de l'œuvre: couche picturale/toile). Cet inconvénient et facilement gommé en intercalant une couche d'interposition que l'on fera glisser en même temps que la toile.
En second lieu, l'immobilisation des "enrouleurs éventails" demande la présence de deux personnes qui assureront en même temps la rotation du tube. L'expérience montre que cette opération peut être confiée au personnel technique du musée, les restaurateurs assurant pour leur part la mise en place de la toile, des couches de protection et la coordination des opérations.
Enfin, le système "D" étant souvent de rigueur lors des chantiers, nous nous devons d'évoquer un système d'enroulement quel que peu atypique utilisé sur le chantier des collections de Beauvais, pour des rouleaux en bois ou en carton, bien cylindriques mais ne possédant pas d'axe rond à leurs extrémités. Pour cette intervention nous avons simplement fait tourner les tubes sur les roulettes de chariots de manutention disposés à l'envers sur le sol. Il convient dans ce cas de prendre garde à la bonne orientation des roulettes qui ne sont pas axées et susceptibles de pivoter en cours d'opération si elles ne sont pas correctement disposées au démarrage de la rotation du tube.
Mise sur rouleau d'une toile en utilisant des plateaux à roulettes renversés.(cliché: F Auger Feige)