Le démantèlement continue, lentement mais sûrement...
Mises en garde en série contre le rapport Lagarde
Patrimoine. Le projet de plafonnement des charges déductibles des monuments historiques suscite l’inquiétude.
VINCENT NOCE
QUOTIDIEN : jeudi 5 juin 2008
«C’est une absurdité que de parler de niche fiscale dans le patrimoine : il n’y en a pas» , déclare Christine Albanel à Libération, alors que la commission des finances de l’Assemblée nationale doit reprendre aujourd’hui cette discussion. Lancé il y a un mois, le rapport Lagarde sur la question a suscité l’émoi des défenseurs du patrimoine, directement visé. La ministre entend ainsi marquer «son opposition à un plafonnement» des charges déductibles des monuments historiques.
«Il ne faudrait pas que, pour justifier la récupération de 800 millions (des dispositifs DOM-TOM), on remette en cause un système qui fonctionne très bien depuis Malraux, et qui porte sur 30 millions. Ce serait absurde, ajoute-t-elle. Un château n’a rien d’une niche fiscale : aucun conseiller fiscal ne vous suggérera d’acheter un château !» Elle se dit aussi opposée à l’introduction du distinguo particulièrement flou «de charges spécifiques». «Que signifie une charge spécifique dans un monument ? Une assurance, c’est spécifique ou pas ?» La ministre de l’Economie a proposé de plafonner à 10 700 euros la déduction des charges consentie pour un monument historique. Elle a aussi remis en cause la déductibilité des travaux réalisés dans les quartiers «sauvegardés», au titre de la disposition Malraux, pour des raisons historiques ou esthétiques.
Pour Jean de Lambertye, de l’association la Demeure historique, le plafonnement va déchirer un tissu patrimonial. «Sur les 1 500 monuments historiques, 1 250 accueillent moins de 2 000 visiteurs par an. Ils vont être les premiers touchés.» Il s’étonne que Christine Lagarde envisage d’anéantir un mécanisme datant de 1965, «renforcé par tous les régimes, de droite comme de gauche», et qui a contribué au succès de l’ouverture au public des monuments historiques privés : en quarante ans, leur nombre a été multiplié par plus de sept.
Il s’étonne également que cette mesure puisse être avancée sans la moindre réflexion sur son impact culturel et social. «Le calcul sera vite fait : les charges d’emploi, de sécurité ou d’assurance supportés pour les visites vont conduire des petits châteaux à la fermeture au public. Les travaux seront retardés. Et pour finir, si les familles ont trop de mal, les châteaux français seront vendus à des fonds étrangers : est-ce cela que l’on souhaite ?»
Rappelant que les propriétaires se soumettent à des règles strictes pour la moindre réparation, Lambertye poursuit : «Ce dispositif n’a rien à voir avec une niche, c’est un partage privé-public d’un investissement d’intérêt général.» - le patrimoine, qui coûte 50 millions à la collectivité, lui en rapporte près du double (92 millions) en impôts, TVA ou cotisations sociales, sans compter les revenus touristiques ou emplois indirects.
Cette attaque lui semble totalement illogique de la part d’un «Etat qui cherche à se dégager de cette charge, ce qui devrait l’inciter à trouver des relais». Ce qui le conduit à demander «s’il ne serait pas temps d’un débat global sur le patrimoine»… Il n’y en a pas eu depuis la dernière loi-programme, il y a quinze ans.