Ce post est la réponse complète au quizz intitulé "restaurateurs de champs, restaurateurs de villes " que vous pouvez retrouver sur le forum à la rubrique QUIZZ.
(ici)Stratigraphie du prélèvement :
Le prélèvement provient d’un chapiteau de la façade d’un bâtiment du quai Lassagne à Lyon. Il est issu d’une série d’échantillons prélevés et étudiés pour déterminer la stratigraphie des couches observées in-situ et permettre une éventuelle remise en teinte de la façade. Photographie n° 1 prélèvement en lumière froide. G 40X.
C1 est le support pierreux de l’échantillon. Les tests de coloration réalisés pour la mise en évidence des protéines indiquent la présence d’une fine couche de colle entre le support (C1) et la couche C2. La coloration pénètre de manière uniforme dans l’épaisseur du support sur une profondeur de 15 µm environ.
Ceci correspond probablement à une couche d’encollage du support, destinée à améliorer l’adhésion d’une couche de peinture et à minimiser la migration du liant de cette couche dans le support ce qui aurait eu pour effet de la fragiliser .
La couche C2 est la première couche de peinture blanche appliquée sur cette partie du chapiteau de la façade du quai Lassagne (photographies n° 1, 2 et 3). C’est une couche assez fine comparativement aux suivantes, seulement 80 µm, constituée d’une matrice de blanc de plomb mise en évidence par la coloration jaune obtenue après la réaction en milieu acide de l’iodure de potassium (photographie n°4).
La finesse de cette couche pourrait inciter à lui attribuer un rôle de sous couche vis-à-vis de C3. Cependant la surface de C2 conserve des traces de salissures qui attestent de son exposition prolongée à l’air libre. De plus, la partie supérieure de la couche présente une légère coloration brun clair liée à la migration superficielle d’une partie du liant durant le séchage de la peinture, ou à l’application d’une couche protectrice qui s’est altérée .
La couche C3 est une peinture blanche, posée au blanc de plomb, épaisse de 200 µm environ, probablement appliquée en deux passages au regard des hétérogénéités de structure pigmentaire (photographies n° 1 et 4). Comme la couche précédente, C3 est recouverte de crasse et son épiderme montre une coloration brun clair qui peut être confondue avec une mise en couleur mais qui sous le microscope ne présente aucune pigmentation.
Ici aussi, la coloration doit correspondre à une couche de protection qui a pénétré la peinture ou, plus probablement, à une accumulation en surface du liant lors du séchage de la couche. Cette zone émet une forte fluorescence blanchâtre sous émission d’ultraviolet .
Les couches C4 et C4 bis sont deux strates très clairement différenciées au point de vue de la structure pigmentaire (photographies n° 2 et 4). Leur épaisseur moyenne est respectivement 320 et 450 µm environ. Leur regroupement au sein d’une même couche s’explique par l’absence totale de délimitation franche entre elles et une correspondance de liant. Il est cependant possible de les envisager comme deux couches distinctes si l’on admet que la couche inférieure a perdu son épiderme. Ce peut être aussi le chevauchement ponctuel de deux couches contemporaines.
Il est impossible de préciser ces hypothèses sans l’étude d’autres échantillons pris sur la même zone.
Les deux strates sont constituées d’une matrice de blanc de plomb mélangé à un peu de carbonate de calcium présent sous forme de charge. La strate inférieure comporte également des pigments noirs et des grains de silice ou de quartz qui lui conféraient, quand elle était visible sur la façade, une couleur grise soutenue presque noire.
Les tests de colorations menés pour déterminer la nature du liant des couches C2, C3 et C4 attestent de la présence d’un liant oléagineux (photographies n°5 et 6), avec une répartition hétérogène de l’huile au sein de chaque couche.
Ceci peut résulter d’un mauvais brassage des peintures fabriquées en grandes quantité pour peindre une façade ou de l’emploi de liant mixte comme une émulsion huile/caséine. Avec ce type de liant, des phases de « séparation partielle » peuvent apparaitre lors du séchage de la peinture.
Photographies n° 2 et 3. La première est sous éclairage ultraviolet et permet de visualiser la répartition hétérogène du liant oléagineux (fluorescence jaune orangé), le seconde en lumière froide met en évidence la présence de blanc de plomb dans les couches C2 à C4 (formation d'un précipité jaune de iodure de plomb).
Photographies n° 4 et 5 sous lumière froide et ultraviolette. A noter les fluorescences différentes des couches de blanc de plomb (blanchâtre), du carbonate de calcium (rose violacé) et sulfate de calcium (brun clair).
La couche C5 est grise, presque noire, épaisse de 80 µm environ. Elle est constituée d’une matrice de carbonate de calcium pigmentée en noir et liée à l’huile. Elle est recouverte d’une couche de crasse.
Les couches C 6 à C 9 sont grises, à base de carbonate de calcium, légèrement pigmentées en noir. Sur l’échantillon, leur épaisseur est croissante : 120 µm pour la première et 250 µm pour les suivantes. Leur liant est uniquement oléagineux (photographie n° 6). Le mélange d’une huile et d’une charge/pigment ayant un indice de réfraction proche,confère une certaine translucidité aux couches de peintures sous microscope et probablement un faible pouvoir couvrant sur la façade.
Photographie n° 6 sous lumière ultraviolette, mise en évidence du liant oléagineux des couches C6 à C9.
La couche C 10 est celle qui nous intéresse pour le quizz. C’est une couche blanche de plâtre mélangé à un peu de carbonate de calcium employé comme charge inerte ou en mortier bâtard sous la forme d’un mélange plâtre / chaux (hydroxyde de calcium). Son épaisseur est très variable car elle sert à « uniformiser » le relief des couches sous-jacentes certainement raclées avant son application comme nous pouvons le voir sur la photographie n° 1.
Une couche discontinue d’encollage a été mise en évidence par des tests de coloration spécifiques de protéines.
L’épiderme de la couche est protégé avec une imprégnation de surface qui a pénétré le plâtre sur une profondeur approximative de 50 µm. C’est le liseré sombre en surface de la couche sur la photographie n° 6, il réagit aux tests de détection de protéines, peut être un caséinate ?
Enfin, l’épiderme gris de C 10. La couleur grise de l’échantillon, parfaitement visible à l’œil nu et plus encore à la binoculaire ne m’est pas apparu lors des premières observations au microscope. Le fait est assez courant et les couches de crasse si elles ne dépassent pas 20 µm sont assez difficiles à visualiser, qui plus est en surface d’échantillon, en contact avec la résine d’enrobage.
J’ai en premier lieu interprété les points noirs de cette couche comme une pigmentation hétérogène. Ce n’est que sous fort grossissement (1000 X) que la nature des points s’est révélée être le résultat de la pollution atmosphérique existante sur les quais du Rhône à Lyon. Les particules de pollution (trafic automobile et industrie) s’agglutinent et viennent creuser et occuper des cavités formées dans la « peau » des façades des bâtiments (photographie n° 7). Le phénomène continuellement entretenu doit se développer jusqu’à la desquamation de la couche superficielle et progresser plus ou moins rapidement vers l’intérieur de l’échantillon, selon la résistance des couches rencontrées.
C’est en songeant à cette pollution urbaine de l’air et avant de partir passer les vacances à Paris, que j’ai intitulé ce quizz estival « restaurateurs des villes, restaurateurs des champs ».
Mais les choses s'arrangent petit à petit et c'est en attendant de nous voir tous abandonner nos chères voitures pour les transport en commun et nos vieilles bicyclettes , que je souhaite au nom de tous mes collèges restaurateurs de champs, plein de belles choses à nos amis restaurateurs des villes.
Photographie n° 7 sous lumière froide. G 1000X. A noter les amas de poussières accumulés dans les cavités creusées dans l'épiderme de la couche de plâtre.