Lancer un débat sur les devis réalisés par nos ateliers n’est pas chose aisée. Parler de notre clientèle et de notre tarification encore moins.
Le grand mérite du texte qui suit est de proposer une base de réflexion intéressante sur une réalité d’atelier pas ou peu souvent abordée. Cette réalité est appréhendée ici à partir d’une triple évolution :
- tout d’abord l’évolution du chiffre d’affaire avec notamment un comparatif entre le nombre de devis réalisés et le nombre de factures émises,
- ensuite l’évolution de la répartition de la clientèle (devis musées, MH et clientèle privée)
- et enfin une réflexion sur la tarification par rapport à l’évolution des charges à partir d'une enquête réalisée auprès de 45 collègues installés en région Paca.
Bonne lecture à tous et merci encore à l’auteur qui a eu la gentillesse de me transmettre le texte son intervention.IntroductionCe texte est le résumé de l’intervention que j’ai donnée lors d’une journée de rencontre que l’Association des Conservateurs a organisée avec la délégation régionale PACA de la Fédération Française des Conservateurs-Restaurateurs. Cette rencontre, une première en région entre nos associations, s’est déroulée le 15 octobre 2009 au Musée d’Histoire de Marseille.
Lorsque nous avons avancé l’idée de cette journée, nous avons voulu, afin d’amorcer un dialogue constructif, présenter différents aspects de nos pratiques professionnelles et partager avec nos « donneurs d’ordre » les difficultés que nous pouvions rencontrer, notamment les charges administratives qui pèsent sur nos activités.
Notre intention initiale était de rechercher, au sein de la Région Provence Alpes Cote d’Azur, l’ensemble des budgets alloués à la conservation restauration du patrimoine et leur évolution depuis une vingtaine d’années. Devant l’ampleur de la tache et faute de temps suffisant, nous avons finalement décidé de présenter cette évolution au travers de celle d’un atelier privé en région. Comme on n’est jamais aussi mieux servi que par soi-même, j’ai proposé de présenter le développement de mon atelier depuis une vingtaine d’années.
I. Présentation de l’atelier et de l’évolution de son volume d’affairesDiplômée en 1986, j’ai exercé depuis sous différentes formes (salariat, entreprise individuelle artisanale). Je présente ici l’activité de l’atelier depuis sa création sous sa forme actuelle, à savoir une SARL regroupant trois restaurateurs salariés. La SARL Amoroso Waldeis a été créée en juin 1994 par deux conservateurs-restaurateurs Marc Maire et moi-même. Notre objectif initial était d’accueillir sous forme de salariat de jeunes diplômés au sortir de leurs études afin de leur offrir une expérience professionnelle complémentaire et un tremplin vers la création de leur propre structure.
Ce schéma général montre le nombre de devis réalisés (courbe bleue) et le nombre de factures émises (courbe rouge) par année. On notera pour un nombre de factures globalement stable, un accroissement très important du nombre de devis. Cette tendance s’explique par plusieurs phénomènes : les types de procédure d’obtention des marchés, leur diversité et multiplication en fonction des donneurs d’ordre, la mise en place des appels d’offres etc..
Ce graphique montre, pour notre atelier, les variations de répartition de la clientèle et le lien que l’on peut faire avec le graphique précédent. Pour mémoire, on retiendra :
1. la chute constante des devis réalisés pour les Monuments Historiques (courbe bleue). Il faut se rappeler que les Inspecteurs des Monuments Historiques effectuaient, pour une opération, une mise en concurrence de trois devis et que de manière générale, on avait une opération qui aboutissait pour 3-4 devis réalisés.
2. L’augmentation constante des devis réalisés pour les Musées (courbe rouge), surtout depuis la mise en place de la Loi Musée (2002) (A noter, ne pas prendre en compte le pic de 2002 correspondant à une seule opération où nous avons réalisé 130 devis),
3. En contrepartie de la chute des devis réalisés pour les Monuments Historiques, l’augmentation des devis réalisés « en direct » pour les Communes ou Collectivités territoriales (courbe verte), (dans ce cas, les procédures sont complètement différentes et liées spécifiquement aux services des marchés de chaque collectivité),
4. La courbe constante des devis réalisés pour la clientèle privée (courbe violette) (nous n’avons jamais réalisé une vraie démarche commerciale envers cette clientèle).
Pour résumer et en schématisant un peu, on peut dire que nous sommes passés d’une procédure où pour 3-4 devis réalisés, nous obtenions une affaire au système plus ouvert des appels d’offre où la concurrence se fait entre un plus grand nombre de conservateurs-restaurateurs. D’où l’explication du graphique 1.
On retiendra que l’évolution de l’organisation des procédures provoque un écart de plus en plus important entre le nombre de devis et celui des affaires réalisées.
A contrario, l’aspect positif est que le mode de procédures fait que les opérations « sortent » en moyenne dans l’année qui suit la réalisation des devis.
En conclusion,
L’activité de l’atelier a subi une augmentation considérable du nombre de devis réalisés pour un volume d’affaire globalement constant.
En 2008, nous avons réalisé 180 devis. Si l’on prend en moyenne une journée de travail (déplacement, constat sur place et réalisation en atelier) par devis et en considérant que l’année 2008 comportait 253 jours ouvrés, la réalisation des devis représente 71% de mon temps de travail à l’atelier. Ce temps n’est pas facturé. Nous sommes trois salariés donc l’atelier n’est pas « dépeuplé » et son activité se poursuit lorsque je réalise des devis. Il n’en est pas de même pour les conservateurs-restaurateurs indépendants.
Par ailleurs, les procédures d’obtention des marchés sont de plus en plus « lourdes » administrativement : au-delà du devis, des propositions de traitement complétées des notes méthodologiques, il nous faut remplir des formulaires administratifs, des attestations etc.….Le ratio entre le temps passé à faire des devis et le temps passé à travailler effectivement devient « délirant » Pour un indépendant travaillant seul, le rythme est intenable.
Il en résulte de moins en moins de temps pour travailler en atelier, faire des recherches, actualiser ses connaissances, et du temps pour appréhender une œuvre et prendre une décision. Nous perdons ce temps essentiel de réflexion autour de l’œuvre que nous traitons.
La concurrence plus large liée au type de procédure d’obtention des marchés (bien que dans les pondérations, le prix n’ait rarement la valeur la plus forte) a eu pour effet principal une baisse constante des prix.
II. Les charges d’un atelierAlors que nous constatons une baisse permanente de nos coûts d’intervention, il nous a paru intéressant de rappeler à nos donneurs d’ordre quelles sont les charges qui incombent à la pratique de notre métier. Nous présentons là un plan comptable « édulcoré » qui reprend les grandes lignes des données d’un « vrai » comptable. Nous répartissons les charges d’un atelier sous trois grands axes :
a.Achats de matières premières ou consommablesAchats fournitures consommables, Variations de stocks, Achats non stockés de matière
EDF Eau Carburant
Fournitures petits équipements Fournitures administratives Autres services extérieurs
Sous traitance Loyers Location mobilières
Entretien matériel Assurances Documentation technique
Honoraires Voyages et déplacements Frais postaux
Téléphonie Frais bancaires Divers………….
b.Charges de personnelsEntreprises avec salariésSalaires
Congés payés
Primes
Cotisation Urssaf
Retraites
Assedic
Charges sociales Travailleurs indépendants
Charges exploitant (calculées sur la recette 40%)
Urssaf
Maladie
Vieillesse
c.Impôts et taxesTaxe d’apprentissage
Formation professionnelle
Taxe professionnelle
Impôts société
L’objectif de ce détail des charges est de démontrer qu’aucune d’entre elles n’a baissé de façon conséquente, lors de ces dernières années. Comment se peut-il donc, que les coûts d’intervention en conservation-restauration soient en baisse constante ?
Il m’a semblé important rappeler à nos interlocuteurs que le prix est aussi un engagement de compétence professionnelle et qu’il est important, pour leur part, d’être vigilants sur les montants annoncés lors de devis de conservation-restauration.
Nous avons, pour ce faire, réalisé une petite enquête auprès de 45 collègues installés en région PACA sur les points suivants :
leur situation professionnelle (statut social, spécialité, secteur d’activité, individuel ou en société),
leur date d’installation,
leurs charges annuelles,
l’estimation (en %) du temps travaillé (devis) non facturable,
s’ils possèdent un atelier,
le dernier investissement réalisé pour des besoins professionnels.
Nous avons reçu 26 réponses, dont voici l’analyse :
81% sont des travailleurs indépendants, (profession libérale ou artisans),
19 % ont une structure en société (SARL ou EURL) avec des salariés,
Le pic de réponses correspond à des gens installés entre 95 et 2000 (dates extrêmes : 1988 – 2008),
84 % des restaurateurs qui ont répondu possèdent un atelier,
En moyenne, les restaurateurs estiment à 35 % leur temps d’intervention non facturable. (Pour certains, plus de 50% du temps non facturable sur le temps de travail.)
Je me suis alors livrée au calcul du seuil horaire minimal réalisé à partir des charges, calculé certes de façon un peu arbitraire puisque le calcul des les revenus et heures travaillées des indépendants n’est pas le même que celui des salariés d’une structure.
Notre calcul a été réalisé en prenant :
a. Le montant des charges / nombre de jours ouvrés en 2008 (253 jours),
b. Le résultat divisé par le nombre de restaurateurs,
c. Résultat divisé par 7 (base 35 heures) pour obtenir le seuil horaire minimal.
La conclusion du résultat de ce questionnaire montre que le prix de vente d’une heure d’un restaurateur devrait être facturé, à minima, entre 50 et 70 € de l’heure. Or
on constate, aujourd’hui, que 50 € de l’heure est souvent le prix maximum pratiqué, incluant sur certaines affaires également les frais de déplacement (!!!). A ceux qui continuent d’entretenir l’idée que les conservateurs-restaurateurs sont « chers », j’offre en comparaison les tarifs pratiqués par des certains corps de métiers de l’artisanat :
Electricien 37 - 41 € H.T.
Plombier 45 - 51 € H.T.
Chauffagiste 53 - 61 € H.T.
Ascensoriste 77 - 100 € H.T.
Garagiste 55 € H.T.
Carrossier 72 € H.T.
Architecte 110 € H.T.
Comptable (saisie) 40 - 60 € H.T.
Comptable (expertise) 100 -140 € H.T.
(Ces prix ont été obtenus soit par des professionnels auprès desquels je me suis renseignée directement, soit par des devis obtenus sur internet.)
Pour conclure cette deuxième partie de mon intervention, j’ai tenu à présenter le dernier refus auquel j’ai été confrontée lors d’une mise en concurrence pour la Mairie d’une grande ville du Sud pour le traitement de trois peintures classées Monuments Historiques.
Nous étions trois entreprises ou groupements en concurrence et le marché comportait trois lots.
Lot 1 Lot 2 Lot 3
Atelier Amoroso Waldeis
Proposition1 23.930 € 21.560 46.680 €
Variante 19.960 € 17.350 € 37.590 €
Atelier 2
Proposition1 27.350 € 24.340 € 48.943 €
Variante 21.950 € 19.200 € 45.957 €
Atelier 3 8.100 € 7.700 € 11.800 €
Les prix sont donnés Hors TaxesBien que la pondération pour ce marché ait été de 60 % valeur technique, 35% le prix et 5% les délais d’exécution, c’est l’atelier 3 qui a remporté l’ensemble des marché (les trois lots). J’ai choisi volontairement un résultat très spectaculaire pour faire comprendre à nos interlocuteurs que face à ces pratiques, nous sommes démunis et n’avons aucun moyen possible d’action.
L’atelier qui a remporté le marché a proposé des tarifs de 40 à 50 % moins chers ! Nos interlocuteurs doivent se demander sur quel plan se situe l’écart de prix.
En conclusion,
1.Les charges qui incombent à nos interventions sont en constante hausse,
2.Par ailleurs, il devient fréquent qu’on nous demande, après devis, de revoir nos prix à la baisse,
3.Les écarts de prix lors de mise en concurrence sont de plus en plus larges.
Conclusions généraleQue pouvons-nous donc proposer pour améliorer cette situation ?
Les idées que je donne ici sont de simples pistes de réflexions, personnelles et n’ont pas été débattues officiellement entre associations de conservateurs-restaurateurs
- Devis payants Il y aurait peut être moins de dérives de la part des collectivités, parfois 10 à 20 restaurateurs qui répondent pour un marché. Pensons au temps de travail perdu par les équipes de professionnels mais aussi au temps de dépouillement pour la collectivité en charge de l’opération et les coûts engendrés par cela,
- Réalisation d’études préalables, on réfléchit à la collection, en amont de la conservation-restauration, au budget à prévoir et seulement après on lance la procédure,
- Restaurateurs présents pour la mise en place des cahiers des charges et lors du jugement des offres La présence de conservateurs-restaurateurs assure la mise en place d’un langage commun et la précision nécessaire à la définition d’un cahier des charges techniques. Pour juger de la pertinence technique des offres et de la réalité financière de la proposition de traitement, la présence d’un conservateur-restaurateur nous semble également opportune. En l’absence de conservateurs-restaurateurs dans ces commissions décisionnaires, la profession pourrait s’engager afin de faciliter le travail de dépouillement de nos donneurs d’ordre sur un lexique technique commun et sur l’indication du nombre d’heures prévues pour la réalisation de chaque étape du traitement.
Nous espérons pouvoir renouveler ces journées rencontre avec les Conservateurs afin désormais de pouvoir faire des propositions concrètes pour améliorer la pratique de la conservation-restauration sur notre territoire.
Danièle AMOROSO,
Conservateur-restaurateur d’œuvres peintes,
Atelier AMOROSO WALDEIS
47 rue des teinturiers
84000 AVIGNON