Le débat continue...
La France dans le business de l’expo diplomatique
Arts. Les musées prêtent de plus en plus d’œuvres. Trop ?
VINCENT NOCE
LIBERATION : lundi 9 juin 2008
La location des collections est-elle devenue le pain quotidien des grands musées ? Les Français sont arrivés tardivement dans l’art business, largement pratiqué de par le monde, mais ils se rattrapent. La controverse autour de l’installation d’un Louvre dans un complexe touristique d’Abou Dhabi a concentré toutes les critiques . Mais au Louvre, on n’a pas manqué de faire remarquer que, dans le même temps, d’autres faisaient de même ou pis dans le plus grand silence.
Et d’abord à Orsay, où Serge Lemoine a multiplié les opérations commerciales en Extrême-Orient. Dernière en date: il y a une semaine s’est ouvert à Taïpei «Millet et son temps».
Populaire. En général, au vu d’un titre pareil, mieux vaut prendre la fuite. En l’occurrence il y a foule, et les Taïwanais ont de quoi être ravis. Ils ont obtenu (payé serait le mot exact) 16 Millet et 40 autres peintures de Barbizon (Corot, Rousseau, Dupré…). Pour la première fois, l’Angélus et les Glaneuses ont quitté Paris ensemble. A Orsay, cette école est tellement dégarnie qu’il a fallu raccrocher une section orientaliste. En revanche, le nouveau directeur, Guy Cogeval, a annulé un autre projet d’exposition, qui aurait dû ouvrir le 14 juillet à Pékin pour les Jeux Olympiques, et se poursuivre à Hongkong et Macao.
Car l’expo diplomatique est devenue un autre must : ainsi le Louvre a-t-il inauguré vendredi à Québec, pour le 400e anniversaire de la ville, une manifestation appelée «Le Louvre : les arts et la vie» : 275 œuvres, de l’Antiquité jusqu’au XIXe, réparties en séquences autour de, euh, la vie : «aimer et mourir» , en effet, mais aussi «apprendre et œuvrer», «habiter et embellir», «célébrer et se divertir». On est chaque jour surpris de l’audace intellectuelle des organisateurs. Dans la même veine, le musée de Boston a prévu à Vérone en 2009 :«De Toutankhamon à Monet». Succès populaire garanti.
En revanche, le Louvre a été conduit à annuler le prêt mirobolant de 140 chefs-d’œuvre à un opérateur privé, qui devait ouvrir dans la cité italienne le cycle «Le Louvre à Vérone : Léonard, Raphaël, Rembrandt et les autres».La liste fabuleuse des pièces (Libération du 3 avril), dont la Belle Ferronnière de Vinci, qui n’a jamais quitté le Louvre, a suscité l’émotion dans le monde des musées en France, et en Italie. Trouvant les conditions de sécurité sur place insuffisantes, Henri Loyrette, président du Louvre, a dit non, manière de souligner que l’intérêt des collections prime. Il a aussi mis en place un service chargé de vérifier l’état des œuvres pour les prêts.
Besoins financiers. Vérone aurait dû lui rapporter 4 millions d’euros. C’est 15 millions que le musée Picasso attend du «Picasso World Tour», dont la seconde étape, après Madrid, vient de s’ouvrir à Abou Dhabi. Sa directrice, Anne Baldessari, souligne ses besoins financiers, tout en se félicitant de la présence de nus, et du succès d’affluence. Tokyo, Helsinki, Saint-Pétersbourg, Sydney, doivent suivre… jusqu’en 2011.
Outre la déception des visiteurs parisiens, tout ceci n’est pas sans risque. Marcia, grand tableau de Beccafumi, est tombé lors du décrochage à Londres de l’expo «la Renaissance à Sienne», et s’est brisé en deux.
http://www.liberation.fr/culture/330614.FR.php