Libération du 19 février 2008
Foire d’empoigne autour des établissements nationaux
Patrimoine. La réorganisation des musées de France par le ministère de la Culture inquiète les personnels et aiguise les appétits.
Vincent Noce QUOTIDIEN : mardi 19 février 2008
Que vont devenir les musées Picasso, Cluny, Ecouen, Fontainebleau, l’Orangerie, Pierrefonds, Compiègne, Malmaison, le château de Pau, et une dizaine d’autres musées nationaux plus modestes, dans la réorganisation du ministère de la Culture ? La question fait l’objet en coulisses d’une dispute interne, sur fond d’inquiétude croissante des personnels. Il y a une dizaine de jours, les syndicats ont envahi le siège de la direction des musées de France (DMF), pour proclamer leur «attachement au service public» et ils annoncent une nouvelle action pour le 21 février.
Jeudi dernier, à Paris, s’est tenue la conjuration des six. Les présidents du Louvre, de Beaubourg, de Versailles, du Quai- Branly, de Guimet, et l’administrateur d’Orsay, ont penché leur auguste personne sur le sort des petits musées. La fronde se fédérait autour de la directrice des musées de France, Francine Mariani-Ducray. Celle-ci, qui vit ses dernières heures (sa direction doit rejoindre une grande direction du patrimoine), était tout émue. Les participants aussi.
Christine Albanel a ouvert plusieurs voies aux musées qui se trouvaient sous l’égide de la DMF : transformation en établissement public (pour les plus importants), rattachement à un grand établissement, à une région, ou enfin à la Réunion des musées nationaux (RMN). Celle-ci est la branche commerciale des musées, qui organise des expositions, des publications, exploite librairies et boutiques, vend des cartes postales, gère les droits de reproduction des œuvres. Les grands établissements (dont le Louvre) ont pris le large il y a une demi-douzaine d’années, grâce à une réforme restée à mi-chemin.
C’est ce parcours qu’il faut désormais reprendre. Après des années de déficit, ayant considérablement réduit ses activités, la RMN est revenue à un exercice équilibré. Elle tient les expositions prestigieuses du Grand Palais. Il n’en fallait pas plus pour que son président, Thomas Grenon, se sente pousser des ailes. Il réclame désormais tous les musées nationaux pour agrandir son duché. Et la transformation de la RMN en un super établissement public.
Les présidents d’établissements sont unanimes pour organiser la rébellion, d’autant qu’ils ont toujours nourri une franche détestation de la RMN, accusée d’incompétence et d’avoir longtemps joui d’un monopole abusif. «En prenant sous sa coupe des musées disparates, la RMN deviendrait un monstre», a plaidé l’un. «La sujétion des musées à la RMN répondrait à un propos biaisé, purement économique, a ajouté un autre. Or, il faut mettre en place des projets culturels et scientifiques, pour voir ensuite dans quelle mesure peut, éventuellement, se fonder une logique mutualiste.»
Et les grands établissements d’organiser la riposte en proposant de mettre en place des réseaux, dont ils se verraient bien, eux-mêmes, les pilotes : Orsay a demandé le rattachement de l’Orangerie, avec sa collection impressionniste ; le Centre Pompidou lorgne le musée Picasso ; Cluny ou Malmaison pourraient se rapprocher du Louvre ; Versailles songe à un réseau de résidences royales. Quant aux syndicats, qui n’apprécient guère le président de la RMN, ils sont virulents contre l’idée d’intégrer un «service commercial de droit privé».
Thomas Grenon n’a pas arrangé son cas en bombardant de notes catastrophistes, dont Libération a pu avoir copie, sa ministre, mais aussi Matignon et l’Elysée, ce qui a été modérément apprécié rue de Valois. «Il essaie de convaincre en sortant des chiffres et des extrapolations complètement bidonnés, ce dont la RMN a d’ailleurs l’habitude», lance un participant à la réunion.
Le cabinet de la ministre se montre tenté par le rattachement de l’Orangerie à Orsay. Thomas Grenon en fait un casus belli, accusant Orsay de vouloir transformer l’Orangerie en «destination touristique». La RMN, au contraire, pourrait à l’en croire «réduire les dépenses de fonctionnement de 20 %». Si l’ensemble des musées nationaux lui revenait, il se fait fort de réaliser «8 millions d’euros d’économies», par des «synergies» assez vagues. En revanche, avertit l’intéressé, si plusieurs des musées nationaux échappaient à la RMN, celle-ci verrait «son équilibre compromis». Dans une note, Thomas Grenon en évalue la perte à 7,2 millions d’euros.
En bref, c’est (presque) tout ou rien. Un comité de pilotage examine la question. Très dubitatif, le ministère s’en tient au pragmatisme affiché par Christine Albanel. Et garde un œil toujours vigilant sur les risques de conflits sociaux.
Libération du 22 février 2008
Musées : une grève contre la fin
Manif. Face aux syndicats, Albanel a botté en touche.
étienne Balmer
QUOTIDIEN : vendredi 22 février 2008
1 réaction
«Le ministère commence à sentir la mort», déclare un délégué CGT au sortir de la réunion entre les représentants de l’intersyndicale Culture et Christophe Tardieu, le directeur adjoint du cabinet de Christine Albanel. Au cœur de la discorde, le projet de réorganisation du ministère et des musées nationaux, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont l’intersyndicale demande le retrait immédiat. Hier après-midi, un millier de salariés de la Culture, majoritairement issus de musées en grève, escortent leurs délégués syndicaux jusqu’aux fenêtres du ministère. Au milieu des drapeaux, sifflets et banderoles, les visages sont graves, les rires nerveux.
Nathalie Ramos est vacataire au musée de Cluny. Les risques d’externalisation des postes dans les musées nationaux compromettent son statut. Au-delà de son propre sort, la jeune femme s’inquiète du projet de démantèlement de la Direction des musées de France et d’une privatisation synonyme de rentabilité à tout prix : «Il faudra faire du clinquant partout, au détriment des missions scientifiques.» Les archéologues et les restaurateurs du patrimoine râlent aussi. La Bibliothèque nationale et les manufactures sont bien représentées. On scande «Retrait de la RGPP» ou «Albanel démission» pour passer le temps.
Les délégués syndicaux sortent au bout d’une heure d’entretien. C’est la déception. Le ministère a botté en touche en rappelant qu’il ne s’agit que de «préconisations», et que des mesures qui n’existent pas ne peuvent être retirées. De vagues «aménagements» de la RGPP ont été promis. «On n’a pas répondu à nos mandats de retrait», déplore Roger Martinez, secrétaire national Culture de Force Ouvrière. Les assemblées générales ont repris aussitôt. La grève est reconduite aujourd’hui. Une journée de mobilisation nationale contre le désengagement de l’Etat dans la culture est prévue à Paris vendredi prochain. Dans les syndicats Culture, on rêve déjà que le mouvement s’étende à l’ensemble de la fonction publique.