Albanel galvanisée
Patrimoine. Reconduite, la ministre a annoncé de nouvelles mesures.
Vincent Noce QUOTIDIEN : mardi 25 mars 2008
Un encouragement aux industries culturelles. Une conférence européenne contre le vol et le trafic d’art. Davantage d’autonomie pour les musées et établissements culturels. Et, couronnant le tout, une volonté affichée de concertation avec le monde des arts pour «redéfinir les règles du jeu». Dans un entretien avec Libération, le premier depuis sa reconduction,Christine Albanel s’est posée en «amie des créateurs», quasi en rempart de la culture dans une conjoncture difficile.
Albanel, le rebond ? Même coiffure et look changés, elle n’a pas encore revêtu de tenue léopard. Donnée au départ partante du gouvernement, elle se pose en femme qui connaît ses dossiers, travaille sur le fond, poursuit les réformes qu’elle a enclenchées. Et tâchant d’oublier les rumeurs, alimentées des coulisses des palais et relayées par les médias. Cavada, Yade, Allègre, Lang, Bachelot… Imaginaires ou sérieux, les candidats à son poste se sont succédé, avec un appétit non démenti pour à peine 1 % du budget. Lang a été sérieusement pressenti, et Bachelot donnée remplaçante à trois jours du remaniement. Ce qui a suscité une onde de frisson dans le monde des arts et des lettres, partagé entre incrédulité et consternation devant une telle désinvolture.
La suite dira si le retour d’affection manifesté à cette occasion par les acteurs de la scène culturelle peut vraiment donner une capacité de regain à la ministre. Jeudi, en tout cas, les syndicats de la Culture lui ont rappelé, en manifestant devant le ministère, leur opposition aux réorganisations prévues dans la refonte de la fonction publique, la révision générale des politiques publiques (RGPP).
«Refus». Les directions du ministère vont passer de douze à une demi-douzaine. Dans la réduction des services de l’Etat dans les régions, Christine Albanel a pu néanmoins sauver les directions régionales de l’action culturelle (Drac). «Je tiens à ce que le monde de la culture, dans toutes ses composantes, conserve des interlocuteurs forts, à Paris comme en région, explique-t-elle. Il n’y a pas, et il ne doit pas y avoir, de désengagement de l’Etat.» Elle assure «comprendre les inquiétudes» des 1 400 agents de son administration, et même «les refus que peut susciter toute réorganisation». «Il ne s’agit pas de supprimer, embraye-t-elle, mais de repenser l’administration, en dégageant des synergies.»
Elle entend ainsi en profiter pour donner plus d’espace aux institutions. Le musée Picasso va devenir établissement public, le château de Fontainebleau devrait, assez logiquement, suivre. Et elle promet «une grande autonomie» aux musées nationaux de moindre taille.
Elle ouvre surtout une petite révolution, en autorisant les établissements culturels à se constituer des fonds de dotation : un capital placé, dont les intérêts constituent une source régulière de revenus. Introduit dans la loi de modernisation économique, ce système à l’américaine (les «capacity endowments») permettra au Louvre de pérenniser la manne d’Abou Dhabi. Et il pourrait aider à trouver des financements pour un patrimoine en péril. La ministre fait une priorité de la nécessité de rattraper le retard accumulé «pour faire face aux besoins réels du patrimoine». On est encore loin du compte puisque le budget de restauration des monuments classés est de 300 millions d’euros, alors que Sarkozy en avait promis 400 par an, sur une décennie.
Au spectacle vivant, où les manifestations d’inquiétude se sont aussi multipliées, la ministre propose de jeter les bases d’une refonte d’ensemble. «Nous sommes le pays en Europe, et sans doute dans le monde, qui subventionne le plus la culture et la création, et j’en suis très fière. En dix ans, ces financements ont augmenté de 40 %. Tout le monde voit qu’on ne peut continuer ainsi. Il y a toujours besoin de plus d’argent, toujours de nouvelles troupes, des nouveaux lieux à soutenir. A un moment, il est normal de porter une appréciation sur cette politique et d’en redéfinir au besoin les modalités et les fondements. Cette réflexion, je veux que nous la menions ensemble avec les acteurs de la scène culturelle. C’est le sens des entretiens de Valois, que nous allons continuer.»
Résistance. Autre engagement présidentiel, l’introduction de l’histoire de l’art dans le secondaire, dont la portée a été très vite limitée par une résistance organisée de l’Education nationale. Albanel se félicite quand même de l’inscription de cette matière «l’année prochaine» comme sujet obligatoire au brevet et en option au bac, ainsi que dans les instituts de formation des maîtres (IUFM).
C’est sur la présidence européenne, que la France prend le 1er juillet, que la ministre se montre la plus prolixe en annonces. Elle souhaite relancer la coopération contre le vol et le trafic d’œuvres d’art, en «proposant une conférence européenne», qui, avec les spécialistes, dresserait un constat des retards des législations, des manques et des propositions. Parallèlement au renforcement attendu des peines en France, la ministre voudrait relancer le projet de bases de données des œuvres volées, avec des partenaires européens, accessibles aux professionnels du marché. Elle souhaiterait également rouvrir le débat sur la TVA à taux réduit des produits culturels, comme le CD ou le DVD, et ouvrir la perspective d’un statut spécifique européen des PME culturelles, «irriguant la diffusion culturelle et la création artistique».
Et Nicolas Sarkozy, qui en onze mois ne s’est exprimé sur aucun sujet culturel, hors un discours sur l’urbanisme et l’architecture? Il pourrait annoncer une série de mesures de relance du marché de l’art, dans la foulée du rapport rendu par Martin Béthenod. «Le président, sensible au rayonnement de la France, ne peut qu’être un soutien des arts et de la culture», assure sa ministre.