Tout doit disparaître !
Le 25 juin le cycle de peintures décoratives d'Henri Martin peint pour la Chambre de Commerce et d'Industrie de Béziers en 1932 (voir notre dernier article) a été finalement vendu aux enchères pour 2 251 000 £, démantelé puisque chaque tableau a été vendu séparément.
Il était pourtant possible d'empêcher cet acte de vandalisme qui s'apparente à l'indifférence pour les cloîtres romans au début du siècle dernier qu'on retrouve aujourd'hui en partie remontés dans les musées américains. L'impuissance du Ministère de la Culture est inexcusable et il faudra bien qu'il s'en explique un jour. Car un point est maintenant avéré : la demande d'autorisation de sortie était fausse puisque l'origine de ces tableaux n'était pas mentionnée. L'accord d'exportation était donc entaché de nullité et cela donnait une possibilité légale pour agir. Encore fallait-il une volonté politique.
Ce scandale, venant après bien d'autres, montre que la France risque de devenir une gigantesque foire aux affaires où chacun, pourvu qu'il ait un peu d'argent, pourra se payer un morceau d'un patrimoine appartenant à tous.
Car la législation sur les objets mobiliers conservés dans le domaine public n'est absolument pas claire. Nous avons déjà dit que personne, même les juristes que nous avons consultés, n'a été capable de dire si ces Henri Martin pouvaient, ou non, être vendus. Ce vide juridique est gravissime. Quelle différence, pour le patrimoine français, entre un vol de tableau dans une église et la vente - même légale - d'une toile appartenant à un établissement public ? Aucune, évidemment. Christine Albanel qui travaille avec le Ministre de la Justice pour augmenter les peines frappant les trafiquants d'œuvres d'art serait bien inspirée de se pencher rapidement sur ce sujet.
Hôpitaux, établissements scolaires, bâtiments administratifs, on ne compte pas les monuments historiques riches d'œuvres d'art rassemblées au cours des siècles qui sont aujourd'hui menacés par la grande braderie qui se mène, sous l'œil au mieux indifférent, du Ministère de la Culture. L'Angleterre ou les Etats-Unis en sont déjà victimes (voir par exemple l'affaire de The Gross Clinic de Thomas Eakins, brève du 21/11/06).
On croyait, à tort, la France protégée. La pression qui s'exerce sur ces lieux est terrible. D'un côté, un gouvernement soucieux d'économiser partout où il le peut et pour qui le patrimoine - et la culture en général - est le dernier souci, de l'autre des maisons de ventes aux enchères cherchant, souvent par l'intermédiaire d'apporteurs d'affaires rémunérés, des œuvres pour remplir leurs vacations. Ces sociétés, au moins, font leur travail. Le Ministère ne fait pas le sien. Les historiens de l'art ont, en tout cas, un rôle à jouer, en étudiant ce patrimoine. Si le décor d'Henri Martin, qui n'avait fait l'objet d'aucune publication récente, avait été connu, les choses auraient peut-être été différentes.
Les décentralisations successives, les réorganisations actuelles, tout concourt à réduire l'influence du ministère de la Culture et ses capacités d'intervention. Impuissance des DRAC, indifférence de l'administration centrale, vide et insécurité juridique, toutes les conditions sont en place pour assister à une fuite du patrimoine comme nous n'en avons encore jamais vécue. Car pour la première fois depuis la Révolution française, c'est bien le domaine public qui est menacé. La période des soldes a commencé. Tout doit disparaître !
Didier Rykner
(mis en ligne le 26 juin 2008)