Sale journée, sale journée pour ce petit chef d’entreprise que je suis…
Encore un marché qui me passe sous le nez, après avoir licencié un poste il y a trois mois sur mes 4 salariés, je sens que le deuxième licenciement arrive.
C’est d’une tristesse sans nom, j’avais une vision de l’entreprise avec comme norme le CDI (ce qui devient de plus en plus extraordinaire), je voulais faire vivre, à mon échelle, et dans le rural, quelques familles, avoir le privilège de me battre pour des idées qui comptent à mes yeux, le patrimoine et l’avenir des personnes qui m’entourent. Pouvoir donner des contrats qui leur permettent de consommer, d’accéder au crédit, d’acheter une maison, de faire vivre leurs enfants. Et croyez moi je ne suis pas du style à flamber et rouler en Porsche, de toute manière la conservation restauration est un métier si minutieux et long à réaliser qu'il est rarement rentable.
Il est vrai que je sentais de plus en plus que la crise nous arrivait dessus, avec des prix au ras des pâquerettes, des gros marchés de plus en plus rares, il est normal que j’en pâtisse car mes concurrents (qu’il soit français ou italien – de plus en plus nombreux crise oblige) ont depuis longtemps abandonné ce mode de fonctionnement. Et force est de constater qu’ils ont eu raison.
Il est vrai qu’un salarié coute cher, prenez le salaire de base pour 35h, le fameux SMIC, l’employé lui va toucher environ 1 140 euros, en haut de sa fiche de paie il y a le brut 1450, déjà il se fait bien enfler le pauvre. Mais après se rajoute mes charges patronales, qui sont payés en plus par le patron (d’où le nom) et n’apparaissent pas sur la fiche de paie, pour un SMIC à la louche c’est dans les 500 euros. Alors pour un mois il me coute 1950, et il va toucher 1140 euros, bon les 810 euros il peut s’asseoir dessus, même pour la retraite il ne les aura pas, faillite totale du système par redistribution, où va tout ce fric ? Et puis quel restaurateur diplômé, même niveau 2, voudrait travailler pour le smic quand en autoentrepreneur ils peuvent demander 2000 euros mensuel, et pour moi le coût sera le même car c’est ce que me coute mon salarié au SMIC !!! Et en plus je peux le prendre à la mission et il part quand c’est fini !
Pour résumer, j’ai rarement vu des salariés aussi mal payés (mais qui se défoncent quand même au boulot) et qui me coutent aussi cher !
Alors que l’auto entrepreneur ne coute que ce qu’il nous facture (d’où l’uberisation de la société, une multitude d’individu tous concurrents, là aussi c’est en général le moins-disant qui l’emportera, a expérience égale), et en passant par des travailleurs détachés (encore plus intéressant, mais plus complexe à monter) nous pouvons même récupérer la TVA ! En fait pas besoin de baisser les salaires, ils descendront tout seul, si vous n’avez pas de boulot et un crédit sur le dos, croyez-moi vous ferrez n’importe quoi pour bosser et dépenser le moins possible, même dormir sur un échafaudage dans une église (j’en ai vu !).
En fait, l’entreprise familiale, une peu paternaliste disparait, comme les marchés sont généralement accordés au moins-disant (j’ai vu des églises baroques avec de superbes décors XVIIIe passer dans des mains de peintre décorateur, je vous laisse imaginer le résultat ! Mais tout le monde est content. Ce métier de conservateur restaurateur a une telle méconnaissance, s’en est effrayant, a quoi bon se taper un master ou un doctorat, pour toucher une misère, en plus de la frustration, et reconnaissance quasiment 0.
Cela me rappelle cette belle étude réalisée sur le débat « peut-on réaliser une restauration dans les règles de l’art sur les marchés publics ». En fait, il y a une multitude d’épiphénomènes à prendre en compte, dans le sens ou par exemple s’il s’agit d’un objet classé, ou pas et de l’implication du conservateur des MH, de l’implication du maitre d’œuvre s’il y en a un (chaque architecte à sa vision propre), de celle de l’ABF, de ce que le maire veut et de son caractère, de l’implication de réseaux, de vous-même, de corruption, etc. J’aurai tellement d’histoire à raconter, je vais me reconvertir dans le roman !
Mais revenons au sujet, mes principaux concurrents sont des personnes seuls, qui cooptent des sous-traitants, à des tarifs impossibles à tenir pour moi avec mes salariés et leurs charges. C’est dramatique, et l’autre qui nous dit que ça va mieux…
Je vais voir comment cela va bouger à la rentrée, s’il n’y a pas de marché je pense que ce sera cuit, ensuite on se reconvertira comme tant de bons restaurateurs que je connais, en chauffeur de bus, en assureur, en chômeur, en auto entrepreneur qui me dit que sa marche bien parce qu’il a fait 500 euros dans le mois…
Je pense que nous arrivons à la fin d’un modèle entreprenarial, et pire encore à la fin d’un modèle sociétal. L’entreprise qui faisait vivre ses salariés durant toute leur carrière, c’est terminé, maintenant on dit que les jeunes veulent de la mobilité, je pense que c’est faux, c’est qu’il ne trouve personne pour leur donner un cdi avec un travail normal (et pas un boulot d’esclave), vu la conjoncture, c’est vrai qu’il faut être un peu fou pour avoir des salariés !
Un autre problème est cette concurrence autorisée par Bruxelles mais totalement déloyale, il n’y a qu’à voir les italiens avec des charges moins lourdes, pour résumer un euro n’a pas la même valeur au sein des pays de l’UE, et pourtant les appels d’offres sont européens !! C’est l’organisation, à marche forcée, d’une faillite annoncée des entreprises classiques.
Fini le « protectionnisme » de votre région, ou on donnait le travail à l’artisan ou l’entreprise du coin, histoire d’avoir des voix aux élections, de se la jouer développement durable, travailler dans sa région et y investir son argent. Là c’est fini, et je viens de le comprendre…
Mon modèle de société c’est kaput, je le vois bien, et d’ailleurs je n’ai qu’à regarder les gros entrepreneurs de la région qui disent pousser l’emploi régional, mais n’emploie que des sous-traitants portugais pour construire leurs immeubles, comme dirait l’autre c’est du business rien de personnel.
Le fait est que pour avoir une entreprise qui marche, il faut un siège social au Luxembourg pour échapper à l’IS français, et des salariés polonais ou roumains, payés au lance-pierre et travaillant 50 – 60 heures semaines. Tout simplement horrible…
Est-ce le modèle de société que je veux laisser à mes enfants ?
Il n’y a que pour eux que l’on a le devoir de se battre, ils sont l’avenir de notre monde, et quand je vois la misère qui rode, je pense qu’eux vivront moins bien que nous…
Merci de m'avoir lu