Toujours plus loin ... Le Monde - Article paru dans l'édition du 15.02.09.
Collection privée contre école publique : duel artistique en Avignon
Une collection de droit privé prend la place d'une école publique, le tout avec la bénédiction de la mairie : en Avignon, le ton est encore feutré, mais entre amoureux déclarés des arts plastiques, la bataille est déjà rude.
L'école d'art a appris, le 14 janvier dernier, par voie de presse, qu'elle devrait bientôt déménager afin de laisser place à sa voisine, la collection Lambert. Installé depuis 2000 dans un hôtel de Caumont, réaménagé par la ville, cet ensemble magistral de 1 200 oeuvres contemporaines (stockées dans le quartier de Saint-Chamand) se trouve aujourd'hui à l'étroit.
Investir l'hôtel de Montfaucon, où s'est installée l'école d'art en 1998 ? "Voilà cinq ans que j'en rêve", reconnaît Yvon Lambert, un des plus grands galeristes parisiens qui collectionne depuis les années 1970 les artistes d'envergure internationale, du conceptuel américain Sol LeWitt au plasticien écossais Douglas Gordon.
A l'inverse, Jean-Marc Ferrari, directeur de l'école d'art, ne cache pas son inquiétude : "Nous avons reçu abruptement cette nouvelle de délocalisation précipitée, sans médiation, comme si on voulait tirer un trait définitif sur l'école en la rejetant à la périphérie", résume-t-il.
Le sort de cette école municipale, financée à 80 % par la mairie d'Avignon, dépend aujourd'hui du bon vouloir de la maire UMP, Marie-Josée Roig. Celle-ci envisage de la déplacer complètement dans le quartier réputé difficile de Monclar, autrement dit en dehors des remparts. Au milieu de ces cités HLM, un collège jugé insalubre pourrait laisser place à l'école d'art, dans un bâtiment reconstruit.
"L'ETAT MONTRE SON INTÉRÊT"
A un moment où le galeriste projette de faire dation à l'Etat des 300 oeuvres de sa collection qu'il a prêtées pour vingt ans à la ville, Marie-José Roig montre sa motivation, et annonce dans les colonnes du quotidien régional La Provence qu'elle projette de faire très vite de la collection un véritable centre d'art contemporain. "Nous avons été aussi surpris qu'enchantés d'apprendre, nous aussi par voie de presse, que la mairie d'Avignon tenait à pérenniser ainsi la collection Lambert, explique Eric Mézil, son directeur. Cela intervient à un moment où l'Etat montre tout son intérêt pour la donation qu'Yvon Lambert a projeté de lui faire." Eric Mézil précise qu'à la demande du ministère, cette donation, comprenant Twombly, Ryman, Kiefer ou Basquiat, a été estimée à 60 millions d'euros, et est considéré par l'expert comme la plus importante depuis la dation Picasso.
L'acte notarial pourrait être signé d'ici à deux ans. En outre, le ministère a demandé un rapport à François Braize, directeur adjoint de l'architecture, sur l'avenir de la collection. "Il souligne notre manque de place. Mais nous ne voulons pas précipiter les travaux, qui doivent s'envisager à un horizon plus lointain."
DES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES
A l'école d'art, c'est plutôt le désenchantement qui règne : d'autant plus grand que c'est Jean-Marc Ferrari lui-même qui a aidé à son installation en Avignon. "L'école d'art a été totalement impliquée dans la genèse de la collection, rappelle ce dernier. Le projet initial préfigurait un pôle d'art vivant réunissant une collection et un centre d'art expérimental associés à l'instance de formation et de recherche qu'est l'école."
A l'origine, les deux parties s'étaient entendues pour collaborer étroitement : organiser des ateliers avec les artistes invités, proposer aux étudiants de participer à l'accrochage des expositions, et surtout, mettre en place un atelier de restauration d'art contemporain, une des spécialités de ces élèves qui travaillent déjà en collaboration avec de nombreux musées. "Nous voulions réorienter nos objectifs pédagogiques en créant, à partir de la collection, un véritable centre de formation en matière de préservation des oeuvres contemporaines, explique Jean-Marc Ferrari. Cette synergie entre une école supérieure et un centre d'art aurait été unique en France." Aujourd'hui, c'est la bataille interne qui fait d'Avignon un cas particulier.
Emmanuelle Lequeux