Dijon Correspondante
Les Etats-Unis sont des grands amateurs d'art médiéval. Cette passion les conduisit, au siècle dernier, à acheter en Europe, et notamment en France, nombre de vestiges pour les remettre sur pied dans leurs musées. On peut ainsi visiter à New York le site des Cloisters, qui présente, entre autres, le cloître reconstitué de l'abbaye Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées-Orientales).
Il n'est donc pas étonnant de voir les Etats-Unis accueillir pour deux ans trente-neuf statuettes en albâtre du XVe siècle. Il s'agit de la série des "Pleurants", l'un des fleurons du Musée des beaux-arts de Dijon. En temps normal, ils sont le cortège funéraire qui orne le tombeau du duc de Bourgogne Jean sans Peur (1371-1419) et de son épouse Marguerite de Bavière. Jusqu'au 23 mai, on peut les voir au Metropolitan Museum de New York, où ils trônent sur un piédestal, au coeur du jubé, à l'entrée du département d'art médiéval.
Six autres musées américains les accueilleront tour à tour d'ici à 2012 : Saint-Louis, Dallas, Minneapolis, Los Angeles, San Francisco et Richmond. Les statuettes s'arrêteront ensuite au Musée de Cluny, à Paris, au printemps de la même année, avant de revenir à Dijon fin 2012.
La scénographie dépouillée montre ces petites sculptures - une petite quarantaine de centimètres à peine de hauteur - sous un jour nouveau. Délivrés des arcatures de style gothique du soubassement du tombeau, qui cachent une partie d'entre eux à Dijon, les personnages sculptés par Jean de la Huerta et Antoine Le Moiturier révèlent les multiples expressions de leur visage et de leurs gestes. Alignés deux par deux dans le sens de la procession, les personnages représentent des membres du clergé et de la famille du défunt.
Cassis et moutarde
Le voyage américain des "Pleurants" intervient à une période cohérente pour le Musée des beaux-arts de Dijon : la salle des Gardes est en rénovation, également pour deux ans. Outre le tombeau de Jean sans Peur, la salle contient aussi celui de son père, Philippe le Hardi. Protégés dans des sarcophages, les tombeaux et leurs gisants ne sont plus visibles du public pendant la durée des travaux.
"Ce qui, au départ, semblait un handicap se révèle une chance unique de présenter les "Pleurants", amovibles, ailleurs et autrement", explique Sophie Jugie, la conservatrice du musée dijonnais. L'établissement bourguignon fait partie, depuis 2005, du réseau Frame (French Regional and American Museum Exchange), qui réunit une douzaine de musées français et autant d'américains. C'est dans le cadre du Frame que cet échange entre les deux pays a pu avoir lieu.
Cette opération est blanche pour le musée municipal, puisque le réseau Frame et ses mécènes financent le déplacement, les expositions et leur catalogue, pour environ 1 million de dollars (740 000 euros). Contrairement à ce que font beaucoup de musées français lors de chantiers de rénovation de longue durée, il n'a pas été question de louer les oeuvres. L'intérêt, pour la ville, est ailleurs. "Pour une ville de la taille de Dijon, la tournée des "Pleurants" offre l'opportunité inédite de se faire connaître à l'international", se félicite François Rebsamen, le sénateur-maire (PS) de Dijon. Sans cet événement, en effet, jamais la ville n'aurait organisé une semaine de manifestations à New York du 1er au 5 mars, avec récitals d'artistes, dégustation de vins, de produits du terroir (cassis et moutarde) et de mets concoctés par des chefs dijonnais.
Baptisée Dijon Must Art, l'opération, qui a coûté 200 000 euros, s'est achevée par une vente aux enchères de vins de Bourgogne. Organisée par la French Heritage Society, une fondation vouée au patrimoine français, elle a rapporté 22 000 euros, qui seront affectés à la restauration du retable de la chartreuse de Champmol, oeuvre contemporaine de Jean sans Peur.
Christiane Perruchot